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Une éruption monumentale du Vésuve par Pierre-Jacques Volaire

Partez à la découverte de l'engouement pour l'ascension du Vésuve au XVIIIe siècle.

Présentation de l'oeuvre

Pierre-Jacques Volaire (1729-1799), Éruption du Vésuve, vers 1774. Huile sur toile, 260 x 385 cm. Château de Maisons-Laffitte

© Patrick Cadet / Centre des monuments nationaux

 

À partir de 1748, les fouilles de Pompéi ont ravivé l’intérêt des artistes et des riches amateurs pour la cité antique. Les peintres venus parfaire leur formation en Italie ainsi que les amateurs désireux de faire le « grand Tour » en Europe convergent vers Naples, attirés par le spectacle du Vésuve. En effet, le volcan connaît sept éruptions dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, avec des épanchements considérables en 1794 et 1804. Mais c’est l’éruption de 1779 qui a particulièrement marqué les esprits dans la mesure où elle rappelait celle survenue en l’an 79, qui ensevelit sous les cendres Pompéi et les cités voisines.

Pierre-Jacques Volaire, né en 1729 à Toulon dans une famille d’artistes, a été pendant sept ans, de 1754 à 1762 l’assistant du peintre Joseph Vernet connu pour sa célèbre série de toiles représentant les Ports de France. Volaire s’installe en Italie, à Rome en 1764, puis à Naples en 1767, où il assiste à plusieurs éruptions du Vésuve et livre ses premières toiles. Il est bientôt suivi par de nombreux autres peintres venus de toute l’Europe, notamment l’Autrichien Michael Wutky et le Britannique Joseph Wright of Derby, dont les vedute du volcan connaissent une large diffusion. Michael Wukty, comme Volaire, ont eu l'occasion de gravir le Vésuve et de vivre des éruptions en direct. Il arrive à Wutky d’accompagner Lord William Hamilton, ambassadeur de la couronne d’Angleterre et pionnier de la vulcanologie, dans de dangereuses ascensions. L’éruption du volcan en tant que sujet convient parfaitement au goût de cette fin du XVIIIe siècle. Loin des représentations iréniques de la nature d’un Claude Lorrain, les catastrophes naturelles et grandes cascades fascinent un public de plus en plus sensible à l’esthétique du sublime, cette « terreur délicieuse » récemment décrite par Edmund Burke dans sa Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau, 1757, devant la splendeur de la nature.

Volaire représente le Vésuve selon trois formules que le client choisit en fonction de son budget, de son goût, de son expérience du volcan, ou encore de l’éruption à laquelle il a assisté : vue depuis la rive du golfe de Naples, vue depuis la sortie orientale de la ville, avec le pont de la Madeleine, ou enfin comme ici depuis l’Atrio del Cavallo. Parmi les très nombreuses vues de l’éruption peintes par Volaire, celle-ci marque par son contraste chromatique, que pratique également à la même époque Joseph Wright of Derby. Le volcan incandescent et ses fumées rougeoyantes n’occupent que la moitié gauche du tableau, contrastant, sur la droite, avec un paysage de marine nocturne sur fond de montagnes, baigné par un éclairage lunaire. Cette formule semble avoir eu un tel succès que de nombreux tableaux de Volaire reprennent ce dispositif dans des œuvres soit monumentales de plus petits formats (119,7 x 247 cm, vente Christie’s, Londres, 08.07.2005 ; 101,5 x 153 cm, vente Drouot-Richelieu, 23.03.2018 ; 56,8 x 89,9 cm, vente Christie’s, New York, 30.01.2013 et 57 x 90 cm, Galerie Corsini).

Comme souvent chez les peintres du Vésuve, une scène pittoresque accompagne le spectacle sublime, rappelant à la fois l’échelle du paysage mais aussi l’attitude des curieux amateurs, plus excités qu’effrayés. Les Souvenirs de la peintre Elisabeth Vigée-Lebrun donne un témoignage éclairant de cette recherche de spectacle : « Maintenant je vais vous parler de mon spectacle favori, du Vésuve. 

Pour un peu je me ferais Vésuvienne, tant j'aime ce superbe volcan je crois qu'il m'aime aussi, car il m'a fêtée et reçue de la manière la plus grandiose. […] Avant la nuit nous étions sur la montagne pour voir les anciennes laves et le coucher du soleil dans la mer. Le volcan était plus furieux que jamais, et comme au jour on ne distingue point de feu, on ne voit sortir du cratère, avec des nuées de cendres et de laves, qu'une énorme fumée blanchâtre, argentée, que le soleil éclaire d'une manière admirable. J'ai peint cet effet, car il est divin. […] Enfin la nuit vint, et la fumée se transforma en flammes, les plus belles que j'aie jamais vues de ma vie. Des gerbes de feu s'élançaient du cratère, et se succédaient rapidement, jetant de tout-côté des pierres embrasées qui tombaient avec fracas. En même temps descendait une cascade de feu qui parcourait l'espace de quatre à cinq milles. Une autre bouche du cratère placée plus bas était aussi enflammée celle-ci produisait une fumée rouge et dorée, qui complétait le spectacle d'une manière effrayante et sublime. »

Cette toile a été commandée par le fermier général Pierre-Jacques-Onésyme Bergeret de Grancourt lors de son séjour en Italie pour son château de Nègrepelisse près de Montauban. Bergeret de Grancourt est un amateur d’art, associé libre à l’Académie royale de peinture depuis 1754. Il est particulièrement lié avec de grands peintres du XVIIIe siècle comme Natoire, Boucher, Lagrené l'aîné, Hubert-Robert et Fragonard. À la mort de son père, en 1771, il hérite d’une fortune considérable, dont le château de Nègrepelisse, l’hôtel de la place des Victoires, le château de Nointel ...

Dans le journal de son voyage en Italie qu’il fait publier, Bergeret de Grancourt relate sa rencontre avec Volaire et son intention de lui acheter une œuvre : « Samedi 23 avril. Il a fallu se déterminer à aller voir le Vésuve qui nous attendait pour faire une éruption et faire couler sa lave. […]. Nous n’étions de retour chez nous à Naples qu’à minuit [...]. J’étais avec un peintre nommé M. Volaire qui réussit supérieurement à rendre l’horreur du Vésuve dont je rapporterai un tableau. » (Bergeret de Grandcourt, Voyage d’Italie, 1773-1774, Paris, Michel de Romilly, 1948, p. 104 et 105)

Le tableau a été gravé et publié dans le Voyage pittoresque ou description des royaumes de Naples et de Sicile de l’abbé de Saint-Non (1781-1786). Le commentaire accompagnant l’estampe nous apprend qu’il s’agit de l’éruption du 14 mai 1771, observée depuis un vallon appelé Atrio di Cavallo, qui se trouve aux deux-tiers du Vésuve.

 

Jean Claude Richard, abbé de Saint-Non, (1727-1791), Voyage pittoresque ou description des royaumes de Naples et de Sicile, Paris, Imprimerie de Clousier, 1781-1786. Paris, Bnf

© BnF

Oeuvre à la loupe

Pour aller plus loin

Emilie Beck Saiello, Le chevalier Volaire, un peintre français à Naples au XVIIIe siècle, Naples, Centre Jean Bérard, 2004.

Emilie Beck Saiello, Pierre Jacques Volaire (1729-1799) ; dit le Chevalier Volaire, Paris, Arthéna, 2010.

J. O., Bergeret de Grandcourt, Voyage d’Italie, 1773-1774, avec les dessins de Fragonard, introduction et notes de Jacques Wilhelm, Paris, Michel de Romilly, 1948, p. 104 et 105.

Autrice de la notice

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Morwena Joly-Parvex

Conservatrice du patrimoine

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