Art & Architecture

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Le singe peintre d’après Jean-Siméon Chardin

Ars simia naturae : l’art singe-t-il la nature ?

Présentation de l'oeuvre

D’après Jean-Siméon Chardin (1699-1779), Le singe peintre. Huile sur toile, 25 x 18,5 cm. Château de la Motte-Tilly

© Alain Lonchampt/Centre des Monuments nationaux.

 

Le tableau original de Jean-Siméon Chardin est probablement exposé au Salon de 1740, avec son pendant, Le Singe antiquaire, aujourd’hui disparu.

La singerie est un genre pictural qui émerge au sein de la peinture de genre flamande à la fin du XVIe siècle. Des singes habillés à la dernière mode peuplent les fêtes de village ou les scènes domestiques, abordant sur le mode satirique les péchés tels que l'ivresse, la vanité ou le proxénétisme. Par une série d'estampes exécutées vers 1575, le graveur Pieter van der Borcht contribue à répandre ces modèles auprès des artistes, et notamment ceux de David Teniers le Jeune (1610-1690), dont les toiles divertissent un large public.

Chardin, comme Watteau, s’inspirent sans doute ici du travail de David Teniers le Jeune quand ils proposent des « singeries » qui s’imposent comme une véritable mode dans la France du XVIIIe siècle. Le succès des scènes animalières atteint son apogée avec Christophe Huet (1700-1759), maître du genre qui signe notamment les Singeries du château de Chantilly. Un autre contemporain de Chardin, Alexis Peyrotte (1699-1769) se fait même une spécialité de ce genre il séduit une large clientèle. Une de ses toiles les plus célèbres est conservée au musée Carnavalet, Les politiques au jardin des Tuileries, montre ainsi comment tains parisiens avaient coutume de se réunir aux Tuileries afin de commenter les articles parus dans les gazettes.

Ici, l’atelier d’artiste est rendu de manière pittoresque, avec tous les attributs traditionnels : palette, carton à dessin, pinceaux, cruche d’eau pour diluer les couleurs, baguette posée sur la toile empêchant la main de trembler. Cependant, il porte une redingote serrée et un tricorne orné de plumes alors même que les artistes de consacrés de l’Académie optent pour une tenue d’atelier conforme à l’exercice, avec des tenues amples facilitant l’agilité du corps. Ce singe manifestement singe un artiste.

La dimension d’autodérision est complexe dans le tableau de Chardin, car l’œuvre joue sur le retournement de l’adage médiéval, Ars simia naturae : l’art singe la nature. Certains historiens de l’art y ont vu une dénonciation de la méthode académique, qui invite les artistes à copier d’abord d’après des dessins, puis d’après la « bosse » avant que de s’exercer à imiter directement la nature. L’expression picturale du « singe peintre » est en tout cas irrévérencieuse, moquant manifestement l’artiste qui prétendrait pouvoir « singer » le réel. En effet, la toile à laquelle travaille le singe peintre, présente les contours vagues d’un animal à première vue difficile à discerner, alors que son modèle est censé être une statuette antique. L’animal ne peint donc pas le modèle posé devant lui, mais travaille à exécuter un portrait, peut-être même un autoportrait.

La mise en abyme devient d’autant plus vertigineuse que dans la copie du château de la Motte-Tilly, la toile représente un autre tableau de Chardin, Le singe antiquaire. Le copiste semble avoir sciemment inscrit son travail de copiste au cœur du tableau, donnant un nouveau sens au « singe peintre ».

Il existe de nombreuses copies de ce tableau (vente Christie's, 09. 06. 2010), souvent avec des dimensions plus modestes comme dans le cas de celui conservé au château de la Motte-Tilly ou celui conservé au musée des beaux-arts de Chartres.

 

D’après Jean-Siméon Chardin (1699-1779), Le singe peintre. Huile sur toile, 25 x 18,5 cm. Château de la Motte-Tilly

© Wikipedia

Oeuvre à la loupe

Pour aller plus loin

Florence Boulerie et Katalin Bartha-Kovács. Le singe aux XVIIe et XVIIIe siècles. Figure de l'art, personnage littéraire et curiosité scientifique, Paris, Hermann, 2019

Pierre Rosenberg, Chardin, Genève, Skira, 1963, 1991.

Pierre Rosenberg, Chardin, cat. exp., Paris, Réunion des musées nationaux, 1999.

Autrice de la notice

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Morwena Joly-Parvex

Conservatrice du patrimoine

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