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Voltaire d’après Maurice-Quentin de La Tour

Partez à la découverte du visage charmeur et du sourire ambigu de Voltaire.

Présentation de l'oeuvre

D’après Maurice-Quentin de La Tour (1704-1788), Portrait de Voltaire, v. 1736. Pastel sur papier, 60 x 50 cm. Château de Voltaire (Ferney)

© David Bordes / Centre des monuments nationaux

 

Maurice Quentin Delatour, plus tard De La Tour, est né à Saint-Quentin en 1704 et entre en apprentissage à Paris chez le peintre Claude Dupouch (1719) au moment où la peintre vénitienne Rosalba Carriera séjourne dans la capitale et se fait connaître par ses portraits au pastel, lançant une véritable mode dans les milieux mondains, qui va influencer non seulement les artistes contemporains, mais génération suivante.

Maurice-Quentin de La Tour copie les œuvres de Rosalba Carriera, notamment son morceau de réception à l’Académie de 1721, une Nymphe de la suite d'Apollon qui aura une grande influence du lui, particulièrement dans la manière dont l’artiste excellera dans l’art du sourire ambigu et sur sa suave palette de rose et de bleu. Les commanditaires aristocrates ou bourgeois se lassent des physionomies figées qui se sont développées dans le portrait de cour, et deviennent plus soucieux de saisir les éphémères mouvements de l’âme. Le pastel, frais et poudreux, transforme profondément l’art du portrait au XVIIIe siècle.

Après un séjour en Angleterre, Maurice-Quentin de La Tour reçoit en 1735 sa première commande importante avec le portrait de Voltaire, achevé une année plus tard. Voltaire commande son portrait à un artiste dont le talent est connu, mais qui n’est pas encore agréé par l’Académie royale de peinture et de sculpture et n’a donc encore jamais exposé une œuvre au Salon. La Tour exécute d’bord deux études au pastel pour le portrait. L’un est aujourd’hui conservé au National museum de Stockholm, où le philosophe est représenté de face, tandis que le second a été acquis par le musée Antoine Lécuyer, avec un portrait de trois-quarts, attitude retenue pour le portrait définitif.

Actuellement perdue, l’œuvre originale représentait le modèle à mi-corps, le torse tourné vers la droite, tenant un livre de la main gauche, le regard et le sourire malicieux. Avant même d’avoir reçu ce portrait, Voltaire en demande deux bonnes copies, que l’artiste devait lui-même retoucher, afin de servir de prototype à toutes celles qui serait produites par la suite. Ce sont aujourd’hui ces multiples copies, à l’exemple du pastel conservé au château de Ferney ou de la version peinte à l’huile (musée Antoine Lécuyer) qui permettent de connaître la composition originale.

Ce portrait de Voltaire connaît une célébrité durable, au point d’être son portrait officiel, par le biais de sa diffusion par l’estampe, comme celle exécutée par Étienne Ficquet en 1762. Ce succès est sans doute lié au fait que Maurice Quentin de la Tour soit parvenu à véritablement incarner le procédé stylistique de l’ironie de l’écrivain, grâce à sa science du sourire et de la dissymétrie des yeux : un regard droit malicieux, le gauche plus sage, et le fameux sourire, aux lèvres fines, discrètement impertinent. Une expression intense émane de ce visage charmeur.

Quentin de la Tour est agréé à l’Académie royale de peinture et de sculpture peu de temps après, en 1737, et participe désormais au Salon, où il remporte un succès considérable auprès du public avec ses portraits de la famille royale, des hommes de lettres et des artistes : Louis XV (1748), Jean-Jacques Rousseau (1753), ou encore la marquise de Pompadour (1755). Ses portraits saisissent le public en raison de la manière dont il parvient à traduire la singularité de chaque personnalité. Si les défauts du visage sont estompés, l’individualité est surtout rendue par l’intensité du regard ainsi que les inflexions des sourires. La personnalité de l’artiste étonne : « C’est un rare corps que ce La Tour ; il se mêle de poésie, de morale, de théologie, de métaphysique et de politique. C’est un homme franc et vrai », commente Denis Diderot dans son Salon de 1763.

Dans un siècle attentif à décrire précisément les moindres mouvements de l’âme dans le domaine littéraire, Quentin de la Tour en donne une expression picturale, à la faveur d’un long travail de recherche : « Que d'attentions, que de combinaisons, que de recherches pénibles pour conserver l'unité de mouvements malgré les changements que produit sur la physionomie et dans les formes la succession des pensées et des affections de l'âme ! » écrit-il dans une lettre au marquis de Marigny en août 1763. Son art est particulièrement célébré au XIXe siècle, au moment où l’on redécouvre les charmes de l’art sous l’Ancien Régime. « Dans ses portraits les yeux brillent, les cheveux se soulèvent, les narines respirent, le front pense » écrit ainsi le fameux critique d’art Charles Blanc.

 

Maurice Quentin de La Tour (1704-1788) d’après Carriera Rosalba Giovanna (1675-1757), Nymphe de la suite d'Apollon tenant une couronne de lauriers. Pastel sur carton, 61 x 0.49 cm. Saint-Quentin, musée Antoine Lécuyer

© RMN-Grand Palais / Mathieu Rabeau

 

Maurice-Quentin de La Tour (1704-1788), Portrait de Voltaire, 1735. Pastel sur papier, 26,5 x 18 cm. Nationalmuseum Stockholm

© Nationalmuseum Stockholm

 

Maurice-Quentin de La Tour (1704-1788), Portrait de Voltaire, 1735. Pastel sur papier, 36 x 28 cm. Saint-Quentin, musée Antoine-Lécuyer

© Wikipedia

 

Gravé par Étienne Ficquet (1719-1794), d’après Maurice-Quentin de La Tour (1704-1788), Portrait de Voltaire, 1762. Estampe à l’eau forte, 19, 2 x 12,5 cm. Paris, Bnf

© BnF

Oeuvre à la loupe

Pour aller plus loin

Christine Debrie, « Maurice Quentin de La Tour. Peintre de portraits au pastel et Peintre du Roi (1704-1788) », Versalia. Revue de la Société des Amis de Versailles, n°1, 1998. p. 22-31.

Xavier Salmon, Le Voleur d’âmes, Maurice Quentin La Tour, Versailles, Artlys, 2004.

Autrice de la notice

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Morwena Joly-Parvex

Conservatrice du patrimoine

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Suzanne